L'Algérie et la France,
une liaison dangereuse
Éric Roussel
29/05/2008 | Mise à jour : 11:28 |
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Journaliste et défenseur de la décolonisation, Jean Lacouture livre une chronique historique des événements et un témoignage personnel.
Plus de quarante ans après la signature des accords d'Évian, qui consacrèrent son indépendance, l'Algérie est un sujet récurrent de déploration. Alors qu'au milieu de bien des vicissitudes, le Maroc et la Tunisie, les deux autres États du Maghreb, ont trouvé une certaine stabilité, les anciens départements français n'ont cessé d'être le théâtre d'événements tragiques. Là plus qu'ailleurs, l'islamisme le plus radical s'est affirmé tandis que le pays peinait, et peine toujours, sur la voie de la démocratisation. En outre, les rapports entre Paris et Alger n'ont jamais été au beau fixe, l'histoire de la colonisation divisant encore les opinions publiques.
Pour comprendre un présent si chargé de menaces, il était indispensable d'envisager les choses sur une durée relativement longue comme Jean Lacouture vient de le faire. Son livre paraît dans la collection « Témoins » des Éditions Gallimard. On ne s'étonnera donc pas qu'à l'étude du passé de l'Algérie, l'auteur ajoute ses souvenirs, voire ses humeurs. Ainsi ce vieux routier des luttes anticoloniales ne cache pas la sympathie que lui inspira Nicolas Sarkozy lorsque, à l'occasion d'un voyage, en décembre 2007, ce dernier se livra à Constantine, devant ses hôtes, à une courageuse évocation historique. Initiative, on le sait, malheureusement non payée de retour puisque ce déplacement fut l'occasion d'incidents, à juste titre qualifiés ici de scandaleux.
Lacouture le montre : tout avait mal commencé en Algérie. Après la conquête, menée de manière brutale, les Européens furent toujours trop présents pour être supportés, mais pas assez nombreux pour contrôler vraiment la contrée. D'où une suite d'occasions manquées, de projets malheureux et, en définitive, de drames. Quand le pays s'embrasa à la Toussaint 1954, il était trop tard pour réparer les dégâts. Le statut de 1947 apparaît rétrospectivement comme la dernière chance qui ne fut pas saisie puisque ses dispositions relativement équitables restèrent lettre morte.
L'apport des pieds-noirs à la France contemporaine
Comme on pouvait s'y attendre, Jean Lacouture braque vite le projecteur sur le général de Gaulle auquel revint la lourde tâche de trancher le nœud gordien. De ce que furent sa pensée profonde sur le sujet et sa ligne de conduite de 1958 à 1962, on trouvera sous sa plume le plus honnête résumé. Si le fondateur de la Ve République ne croyait guère à la possibilité d'un maintien indéfini de la présence française de l'autre côté de la Méditerranée, il souhaitait autant que possible opérer un repli en bon ordre, avoir un autre interlocuteur que le FLN, et garder, enfin, les richesses pétrolières du Sahara. Lorsqu'il apparut impossible d'atteindre ces buts, la négociation devint son objectif prioritaire. On s'est souvent demandé pourquoi le Général s'attacha à obtenir au préalable un assainissement de la situation militaire. Le plus probable, comme le souligne Jean Daniel dans sa préface, est qu'il était hanté par le précédent de Diên Biên Phu, et décidé à tout faire pour éviter le traité en position défavorable.
À l'heure du bilan, Jean Lacouture ne dissimule rien des zones d'ombre d'une histoire récente. Au chapitre des réussites, il préfère souligner l'apport considérable de la communauté pied-noire à la France contemporaine. Paradoxal et réconfortant constat, quarante-six ans après les épreuves consécutives à la paix.
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