Cet inadmissible Maroc à deux vitesses !

Cet inadmissible Maroc à deux vitesses !
Bahia Amrani

Cet inadmissible Maroc à deux vitesses !

OUTRE qu’ils nous affligent et nous glacent d’horreur, les derniers événements qui ont bouleversé l’opinion publique marocaine, ces derniers jours, nous rassoient brutalement devant une réalité que nous refusions, refusons et refuserons sans doute encore, de regarder en face.

Cette réalité est que, non seulement il y a deux Maroc, l’un avançant à la vitesse « grand V » dans tous les domaines et l’autre dont on a honte tant il semble anachronique. Mais qu’en plus, le Maroc dont on a honte est si présent que, parfois, il semble l’être plus que le Maroc dont on est fier.

Quelques exemples ? Rien de plus simple...

D’un côté, on a des projets dignes des plus grands pays du monde, comme Tanger Med, le TGV Tanger-Casablanca, ou le pôle futuriste Casablanca nearshore Park. De l’autre, on a des bâtiments qui s’écroulent en pleine construction, pour fraude (le dernier drame de Kenitra), des charrettes que tirent des mulets en plein centre de Casablanca -capitale économique du pays et mégapole africaine- et des contrées où il n’y a, aujourd’hui encore, ni eau, ni électricité. D’un côté, on a des Marocains qui arrivent à se faire recruter à la Nasa, ceux qui reçoivent de prestigieux prix, notamment littéraires comme Tahar Benjelloun pour ne citer que lui et ceux encore qui dans le domaine des sciences et de la médecine sont aujourd’hui mondialement reconnus. De l’autre côté, on a 46% de la population analphabète, soit près d’un Marocain sur deux !!

D’un côté, on a les dernières berlines asiatiques, allemandes, ou françaises, désormais mises en vente sur le marché marocain en même temps qu’elles le sont sur le marché asiatique ou européen et qui s’écoulent comme des petits pains. De l’autre côté, on a des bus dédiés au transport en commun dont les freins vétustes rendent subitement l’âme et qui finissent leur course incontrôlée dans une mare de sang, après avoir fauché d’innocentes vies humaines (cela s’est passé à Casablanca le mois dernier et à nouveau ce 29 avril même).

D’un côté, on a de grandes entreprises et institutions marocaines qui en sont à essaimer dans le continent africain pour y transmettre leur savoir faire, voire en Europe où elles n’ont rien à envier à la concurrence et dont certaines, nec plus ultra, livrent leurs arrêtés de comptes aux normes IFRS. De l’autre côté, on a des négriers d’un autre temps qui nous « réinventent » l’assommoir et Germinal d’Emile Zola -en pire- et dont les méthodes médiévales conduisent aux drames de cette semaine où l’on a vu plus de 60 travailleuses et travailleurs brûler vifs dans une usine hors normes dont toutes les issues avaient été condamnées au fer forgé, à l’exception de la porte de sortie ; ou encore, quatre jours plus tard, 3 salariés mourir carbonisés sur les lieux de leur travail parce qu’enfermés par leur employeur...

Le Maroc des riches-le Maroc des pauvres ; le Maroc utile-le Maroc inutile ; le Maroc des lumières-le Maroc de l’ombre ; le Maroc d’en haut-le Maroc d’en bas... Les expressions n’ont pas manqué dans les rapports d’observateurs de tous acabits (ceux de la Banque mondiale et du FMI, ceux des chancelleries ou de certains départements d’Etat et même ceux de nationaux qu’ils soient chercheurs, militants ou politiciens..). Toutes veulent dire qu’il y a deux Maroc, le bon et le mauvais et leur seul énoncé est une condamnation. Mais au-delà de ce qui peut être dit ou écrit, cette réalité en elle-même est inadmissible. D’autant que le bon Maroc aura beau faire pour grimper les échelons, le mauvais le rétrogradera toujours au « cent et quelqu’unième » rang dans les différents classements du développement.

Bien sûr, le Maroc a des retards qui ne peuvent être rattrapés du jour au lendemain. C’est le cas pour ce qui est de l’électrification et de l’accès généralisé à l’eau qui seraient, nous dit-on, en bonne voie... Combler les lacunes dans l’alphabétisation demande du temps, on peut aussi en convenir. Encore que dans ce domaine, la volonté politique devrait s’affirmer avec force et l’on devrait passer à l’acte dès à présent, chaque enfant non scolarisé représentant une autre génération perdue. Mais il est des tares dont on peut se débarrasser immédiatement. Les usines comme celles qui viennent de faire scandale n’ont besoin de rien, si ce n’est de vigilance et fermeté administratives. Il en est de même des autobus fous, des entrepreneurs immobiliers sans scrupules et de tous les boulets de ce genre que le Maroc ne doit qu’à son laxisme.

http://www.lereporter.ma/article.php3?id_article=6347